LETTRES SUR LA VIE DE HAYDN – N°4 : Vivre de la musique.

balmasque-229x300Extraits des « Vies de Haydn, de Mozart et de Métastase » par Stendhal,Giuseppe Carpani,Théophile Frédéric Winckler,Friedrich von Schlichtegroll
« Les ravages du temps vinrent déranger la petite fortune de Haydn. Sa voix changea, et il sortit à dix-neuf ans de la classe des soprani de Saint-Étienne, ou pour mieux dire, et ne pas tomber sitôt dans le style du panégyrique, il en fut chassé. Un peu impertinent, comme tous les jeunes gens vifs, un jour il s’avisa de couper la queue de la robe d’un de ses camarades, crime qui fut jugé impardonnable. Il avait chanté onze ans à Saint-Étienne: le jour qu’il en fut chassé, il ne se trouva, pour toute fortune, que son talent naissant, pauvre ressource quand elle est inconnue. Il avait cependant un admirateur. Forcé de chercher un logement, le hasard lui fit rencontrer un perruquier nommé Keller, qui avait souvent admiré, à la cathédrale, la beauté de sa voix, et qui, en conséquence, lui offrit un asile. Keller le reçut comme un fils, partageant avec lui son petit ordinaire, et chargeant sa femme du soin de le vêtir.

Haydn, délivré de tous soins temporels, établi dans la maison obscure du perruquier, put se livrer, sans distraction, à ses études, et faire des progrès rapides. Ce séjour eut cependant une influence fatale sur sa vie : les Allemands ont la manie du mariage. Chez un peuple doux, aimant et timide, les jouissances domestiques sont de première nécessité. Keller avait deux filles; sa femme et lui songèrent bientôt à en faire épouser une au jeune musicien; ils lui en parlèrent: lui, tout absorbé dans ses méditations, et ne pensant point à l’amour, ne se montra pas éloigné de ce mariage. Il tint parole dans la suite avec cette loyauté qui était la base de son caractère, et cette union ne fut rien moins qu’heureuse.

haydn4-le-diable-boiteuxSes premières productions furent quelques petites sonates de piano, qu’il vendait à vil prix à ses écolières, car il en avait trouvé quelques-unes: il faisait aussi des menuets, des allemandes et des valses pour le Ridotto. Il écrivit, pour se divertir, une sérénade à trois instruments, qu’il allait, dans les belles nuits d’été, exécuter en divers endroits de Vienne, accompagné de deux de ses amis. Le théâtre de Carinthie avait alors pour directeur Bernardone Curtz, célèbre arlequin, en possession de charmer le public par ses calembours.Bernardone attirait la foule à son théâtre par son originalité et par de bons opéras bouffons. Il avait de plus une jolie femme; ce fut une raison pour nos aventuriers nocturnes d’aller exécuter leur sérénade sous les fenêtres de l’arlequin. Curtz fut si frappé de l’originalité de cette musique, qu’il descendit dans la rue pour demander qui l’avait composée. « C’est moi, répond hardiment Haydn.
— Comment, toi ? à ton âge ?
— Il faut bien commencer une fois. Pardieu! C’est plaisant; monte. » Haydn suit l’arlequin, est présenté à la jolie femme, et redescend avec le poème d’un opéra intitulé, le Diable Boiteux.
La musique, composée en quelques jours, eut le plus heureux succès, et fut payée vingt-quatre sequins.
Mais un seigneur, qui apparemment n’était pas beau, s’aperçut qu’on le mystifiait sous le nom de Diable Boiteux, et fit défendre la pièce. »

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